vendredi 27 février 2009

Quelle géopolitique pour les régions Balladur ?

Pas encore remis au président de la République, le rapport de la commission de réforme des collectivités locales, présidé par l'ancien député (UMP) de Paris et ancien Premier ministre Edouard Balladur fait déjà couler beaucoup d’encre et de salive. Au cœur de cette polémique, l’éventuel redécoupage des régions, qui passeraient de 21 (la vingt-deuxième, la Corse, ayant le statut de collectivité territoriale) à 14, 15 ou 17 selon les sources et les hypothèses.
Sans entrer dans cette discussion a priori sans objet, puisque tous les commentateurs en restent au stade des conjectures, on peut cependant d’ores et déjà s’amuser à tracer une première esquisse de la géopolitique de ces ensembles qui pourraient bien rester dans l’histoire politique de la France comme les régions Balladur.
La Lorraine dans l’orbite politique de l’Alsace
Passée à gauche en 2004, la Lorraine, une fois fusionnée avec l’Alsace, dernière région fidèle à l’UMP, devrait logiquement revenir dans l’orbite de la droite. Dans le quart Nord-Est de la France, les zones urbaines et industrielles restent encore assez conservatrices, et ce malgré les succès du PS aux municipales de 2008 notamment à Strasbourg et surtout Metz. Face au poids démographique des départements de droite du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, où la notion d’électorat catholique reste pertinente, le Concordat y étant toujours en vigueur, la Meurthe-et-Moselle, qui a le seul conseil général de gauche de la région, aurait une influence très diminuée. Même phénomène pour la Meuse et les Vosges, moins peuplées et moins nettement clivées.
Incertitude totale en Aquitaine
Les champions du ciseau électoral risquent fort de s’arracher les cheveux sur le cas de l’Aquitaine. L’adjonction à la région de la Charente et de la Charente-Maritime, si elle n’est pas forcément absurde historiquement, Saintes ayant été la capitale de cet ensemble géographique fort ancien, risque de n’absolument rien changer. La gauche, dominant d’assez peu la droite dans cette région, sortirait renforcée de l’arrivée de la Charente, où elle a obtenu d’excellents résultats aux municipales de 2008, après un grand chelem aux législatives de 2007 et le basculement du conseil général en 2004. Davantage indécise, la Charente-Maritime, où la droite s’est imposée dans d’anciens fiefs radicaux, ne suffirait pas à contrebalancer ce phénomène. Quant au MODEM, même si son président François Bayrou n’a jamais caché ses ambitions régionales, il semble trop isolé sur ses bases béarnaises pour réellement tirer son épingle du jeu, mais pourrait cependant brouiller les cartes.
Brice Hortefeux, président de Rhône-Alpes – Auvergne ?
Comme en Lorraine, la fusion avec une région davantage clivée pourrait faire basculer Rhône-Alpes à droite. Même si la famille Giscard a perdu l’Auvergne en 2004, cette dernière reste assez conservatrice, surtout sur ses marges sud. Au nord, l’Allier zappe sans arrêt depuis 1982 entre droite et communistes, et la droite reste assez présente dans le Puy-de-Dôme, détenu par des socialistes dissidents. L’arrivée de cet ensemble en Rhône-Alpes, où la gauche a connu sa première victoire en 2004, devrait suffire à faire basculer le tout à droite. Un contexte qui pourrait inciter l’Auvergnat Brice Hortefeux à briguer la présidence de la nouvelle région, fort d’une notoriété nationale incontestable malgré une image contestée…
Franche-Comté et duché de Bourgogne à gauche
Une Bourgogne forte n’a jamais été profitable au pouvoir central. En lui accolant la Franche-Comté, la droite au pouvoir va probablement renforcer une gauche qui a beaucoup progressé dans ces deux régions. Il y a dix ans, elle ne contrôlait que les deux petits départements de la Nièvre et du Territoire-de-Belfort, aujourd’hui, seuls l’Yonne, la Côte-d’Or et le Jura lui échappent. Et encore est-elle très menaçante dans ces deux derniers. Pour l’heure, la majorité ne semble pas disposer d’une personnalité pouvant faire la différence face aux hommes du maire ségoléniste de Dijon François Rebsamen.
Clivages renforcés entre Bretagne et Pays-de-la-Loire
Si la Loire-Atlantique rejoint la Bretagne, elle ne fera que renforcer une gauche en pleine expansion dans cette région. En revanche, le reste des Pays-de-la-Loire devrait rejoindre très vite le giron de la droite après le départ de son département le plus peuplé, navire-amiral du PS dans la région. Une tendance que ne devrait pas inverser l’arrivée de la Vienne et des très ségolénistes Deux-Sèvres, évoquée par certains analystes.
Quel avenir pour le Centre et le Limousin ?
Ensemble assez composite au plan géopolitique, la région Centre – Val-de-Loire devrait être amputée d’au moins un département, le Loiret, au profit de l’Ile-de-France. Si l’on veut prêter des arrière-pensées électorales à ce redécoupage, on peut affirmer que l’hypothèse la plus séduisante pour la droite serait de fusionner le Centre avec le reste des Pays-de-la-Loire. A contrario, accoler le Centre sans le département très conservateur du Loiret (et celui ancré à droite de l’Eure-et-Loir) au Limousin renforcerait plutôt le PS qui s’est fortifié dans cette dernière région au détriment des communistes et des chiraquiens.
L’avenir du Limousin semble très incertain. Petit, pauvre, peu peuplé, très ancré à gauche, il ne devrait pas survivre à cette réforme. Une autre hypothèse part sur son renforcement par la Vienne et les Deux-Sèvres, mais cette solution, outre d’être défavorable à la majorité, ne semble pas cohérente territorialement.
La gauche profite de l’éclatement de la Picardie
Provoquant une véritable levée de boucliers, le dépeçage de la Picardie au profit de ses voisins devrait davantage profiter à l’opposition qu’à la majorité. En rejoignant le Nord - Pas-de-Calais, la Somme, dont le conseil général a basculé à gauche en 2008, devrait renforcer un PS hégémonique dans cette région. Si l’Aisne est absorbée par Champagne-Ardenne, elle devrait rééquilibrer cette région passée à gauche en 2004, mais où la droite domine les quatre départements.
Un Grand Paris de gauche dans une Ile-de-France de droite
Le troisième département picard, l’Oise, a basculé à gauche en 2004, mais abrite encore de puissants fiefs de droite, qui pourraient renforcer l’Ouest parisien conservateur en cas de fusion avec l’Ile-de-France. Si le Loiret et l’Eure-et-Loir rejoignent eux aussi l’Ile-de-France, ils ne feront qu’apporter davantage d’électeurs de droite, lui donnant de sérieuses chances de reconquérir cette région très tangente. En revanche, si les départements de la petite couronne parisienne fusionnent avec la ville-centre, pour former un Grand Paris, le solide bastion sarkoziste des Hauts-de-Seine ne pèsera pas très lourd face aux gros réservoirs de gauche de la ceinture rouge.
Laurent Fabius, duc de Normandie ?
La fusion des deux Normandie apparaît comme l’idée la plus viable de cet éventuel redécoupage. Plus industrialisée, plus peuplée et plus à gauche, la Haute-Normandie devrait prendre le pas sur la Basse-Normandie, où la gauche a obtenu quelques beaux succès lors des municipales de 2008. Du coup, Laurent Fabius, candidat malheureux aux régionales de 1992, bien que majoritaire en voix, pourrait tenter un retour gagnant.
Des conseillers territoriaux hâtant le basculement à gauche du Sénat
Les régions Balladur devraient être gérées par des conseillers territoriaux, élus aussi bien au niveau départemental que régional, un peu dans le même esprit que la loi PLM, régissant les arrondissements parisiens et lyonnais et les secteurs marseillais. Ceux des zones rurales seraient désignés uninominalement, au scrutin majoritaire, et ceux des zones urbaines à la proportionnelle. Une mesure qui devrait rééquilibrer la représentation des villes dans les instances départementales, encore largement dominées par les élus ruraux. Conséquemment, les échelons départementaux et régionaux devraient être encore plus dominés par la gauche qu’aujourd’hui. Et, par ricochet, le Sénat, désigné par les élus locaux, pourrait alors changer de majorité.
Emmanuel SAINT-BONNET

mardi 3 février 2009

Cabotage électoral d'Alain Lambert dans l'Orne

Une cantonale partielle devrait avoir lieu dans les semaines qui viennent à Alençon. Elle sera provoquée par ricochet par le président (UMP) du conseil général de l'Orne Alain Lambert, ancien candidat à la candidature à la présidence du Sénat.
Il se trouve que le conseiller général de Putanges-Pont-Ecrépin, Amaury de Saint-Quentin, vient d'être nommé préfet de l'Ardèche. Il a donc démissionné de son mandat. Une partielle a lieu dimanche 8 février. Le candidat de l'UMP n'est autre qu'Alain Lambert, qui délaisse ainsi son canton d'Alençon III.
Il semble qu'il veuille ainsi se trouver un fief sûr pour conserver sa présidence, ce canton étant situé dans un secteur où la gauche est en forte progression. Elle a gagné la ville et la communauté urbaine en 2008, et le PS détient les deux autres cantons.
C'est une nouvelle illustration du vieux terme de "cabotage électoral". Ce n'est cependant pas la première fois qu'un président de conseil général migre pour éviter une déconvenue: on peut citer le cas du changement de canton de Michel Berson (PS) dans l'Essonne qui quitta Yerres (peu sûr puisque fief de Nicolas Dupont-Aignan) pour Evry-Nord, beaucoup plus à gauche, en 2001. On connait aussi le cas de présidents battus dans leur canton qui se firent élire ailleurs pour immédiatement reconquérir la présidence. Ce fut le cas notamment de Jean François-Poncet (Lot-et-Garonne), battu à Laplume et revenu à Duras, ou de Younoussa Bamana qui fit de même à Mayotte.
Alain Lambert justifie cette migration par la possibilité d'avoir cinq ans de mandat devant lui dans ce canton qui vota en 2008, alors qu'avec Alençon III il ne lui restait que deux années. "J'ai clairement marqué que je m'inscrivais dans la continuité d'Amaury de Saint-Quentin, démissionnaire en raison de sa nomination comme préfet, c'est à dire dans le respect absolu des convictions de chacun et sans attache partisane. Seul l'intérêt cantonal et départemental étant pris en compte", affirme-t-il ainsi sur son blog (http://www.alain-lambert-blog.org/index.php?2009/01/23/2474-cantonale-partielle-a-putanges-orne-alain-lambert-candidat).
Mais il ne fut réélu à l'époque qu'avec 25 voix d'avance sur le candidat de gauche. Un signe évident d'essoufflement électoral, puisqu'il avait arraché dès le premier tour ce siège en 1985 au maire socialiste Pierre Mauger, qu'il battra quatre ans plus tard aux municipales. Redécoupé en 1982 à partir du canton d'Alençon-Est, ce canton a longtemps été considéré comme celui des maires de la préfecture, puisque Pierre Mauger y avait devancé son prédécesseur de droite Jean Cren en 1979. L'actuel locataire de l'hôtel de ville, le socialiste Joaquim Pueyo, est pour sa part conseiller général d'Alençon I.
A Putanges en 2008 Amaury de Saint-Quentin a obtenu 65,97 % dès le premier tour (le divers gauche 23,62 % et le PCF 10,41 %). Ce secteur, au coeur des bocages de la Suisse normande, est très solidement ancré à droite. Elu en 1994 avec l'étiquette RPR, Amaury de Saint-Quentin l'a été face à un divers droite, la gauche n'atteignant à l'époque même pas les 10 %. Pour cette prochaine partielle, le terrain semble dégagé pour le président du conseil général, puisque le maire divers droite de Giel-Courtelles Michel Petit, un temps pressenti comme candidat, s'est retiré. "Ouest-France" rapporte qu'il indique que la quasi-totalité des maires du canton soutiennent Alain Lambert (http://www.ouest-france.fr/ofdernmin_-Cantonale-le-PS-soutient-Guy-Mercier_-804406--BKN_actu.Htm).
Il sera cependant intéressant de scruter le résultat du 8 février. Ensuite, si Alain Lambert réussit, une cantonale partielle aura lieu à Alençon III, qui promet d'être bien plus disputée. Mais même si ce canton bascule à gauche, la géopolitique de l'Orne ne s'en trouvera pas modifiée, la droite détenant 33 sièges sur les 40 du conseil général.
Emmanuel SAINT-BONNET et Pierre BOURDEREAU
POUR EN SAVOIR PLUS
Tout sur la géopolitique de l'Orne: http://www.atlaspol.com/NR/orne.htm
Tout sur les élections cantonales: http://christof.rmc.fr/